A sa naissance dans une clinique miteuse de Londres, rien ne laissait présager que ce garçon allait avoir une vie telle qu’elle est écrite ici. Il fut abandonné quelques jours après son premier cri, sa mère ne pouvant pas assumer ce bout de chou à seize ans tout frais. Déposé devant l’orphelinat qui le recueillit, il n’était accompagné que d’un bout de papier sur lequel était inscrit ;
« Son nom est Milo. Prenez-en soin, merci. »
Rien de plus.
Durant des semaines, sa famille fut recherchée. Peut-être y avait-il un moyen de faire revenir la mère sur sa décision ou de le déposer dans sa vraie famille plutôt que d’en faire tout de suite une pupille de l’état à adopter. Car la vie d’un enfant abandonné, même au sein d’un nouveau foyer, n’est pas des plus faciles. Mais les recherches n’aboutirent pas. Sûrement sa mère le vit de nombreuses fois aux informations ou dans les journaux, mais elle ne se manifesta pas. Jamais il ne la revit, et jamais de sa vie il ne chercha à la revoir. Il demeura donc dans l’orphelinat, attendant de nouveaux parents, durant six longues années de solitude durant lesquelles il connut Joshua. Celui-ci devint son meilleur ami, des inséparables.
Friedrich Reece et son conjoint Pete Clarks étaient des symboles de la lutte contre l’homophobie. L’un des couples gay les plus célèbres du monde occidental et sûrement parmi les plus excentriques de par leur attitude extravertie et leurs paroles claquantes.
Clarks était à la tête de BSS (the Bank Security System) et le créateur du programme a.n.g.e.l qui était utilisé par plus de la moitié des banques américaines de l’époque ; il avait à ses pieds un véritable empire de technologie et d’informatique qui le rendait millionnaire.
Reece, lui, avait fondé la marque Bright en association avec Giorgio Armani. Il récoltait un franc succès ; pour preuve, l’entreprise faisait depuis peu partie des nouveaux grands noms de la mode en plein essor.
Leur union, datant d’il y a six ans, avait refait éclater le débat sur le mariage homosexuel. Et après ce premier combat, ils décidèrent d’avoir leur propre enfant. La nature ne leur permettant pas, il durent en adopter un. C’est ainsi que le destin de Milo croisa le leur.
Le couple déclara de nombreuses fois à qui voulait l’entendre qu’ils avaient eu un véritable coup de foudre pour le petit garçon. Ils ne mirent pas bien longtemps avant de s’exhiber avec lui, faisant la une de magazines. Alors que Milo attendait une famille, il trouvait une notoriété dont il ne voulait pas ; il devint lui aussi un emblème de la communauté gay sur lequel reposaient de nombreux espoirs. A lui seul, il devenait l’héritier de deux empires. Recce rebaptisa même sa marque M.i.l.o en son honneur. Mais une foule de questions se posaient autour de lui ; quelle vie aura-t-il avec deux pères ? Comment l’assumera-t-il ? Et quelle voie prendra-t-il ; mode ou informatique ?
Malheureusement pour Parks, Milo n’avait aucun don pour la manipulation de programmes complexes. Son talent reposait bien plus dans ses mains et dans son esprit créatif, et lorsqu’il mit ce talent à la disposition de la marque éponyme de son ‘père’, celle-ci remporta un succès inattendu.
Milo avait conçu lui-même et aidé à la création de quelques modèles de la collection automne-hiver présenté à Paris cette année là. Une véritable surprise, remplie de modèles détonants. A partir de ce jour, son nom fut ajouté au palmarès des étoiles montantes de la mode alors qu’il venait d’avoir dix-huit ans et un bac littéraire tout neuf.
Pourtant, auparavant, ce n’était pas qu’en bien que Milo avait fait parler de lui. Traqué par les photographes depuis l’enfance, il était normal qu’il pète un plomb une fois de temps en temps. Car il était le fils d’un couple gay anticonformiste, pressenti comme un futur Mozart de la mode, jeune et pas moins séduisant, il n’en fallait pas plus pour en faire une cible des tabloïdes qui réussirent à le faire figurer dans leurs pages à quelques reprises. En effet, le jeune homme atterrit plusieurs fois au poste de police avec son vieil ami Joshua. Jamais ils n’avaient perdu la trace l’un de l’autre à travers les années et ils faisaient les quatre cent coups ensemble, toujours aussi soudés. Leurs arrestations avaient de diverses raisons comme la conduite en état d’ivresse ou l’agression de photographes. Et ils furent mémorablement pris en photo la fois où ils furent sortis de force d’un night club, escortés par la sécurité de l’établissement.
A cette époque, Milo était vu comme l’ombre d’un voyou, un jeune garçon violent –mais bien sapé- et la déception de la décennie pour la communauté homosexuelle. Il décida donc de se rattraper, de se prendre en main. C’est ainsi que ce défilé à Paris devint l’occasion pour lui de montrer ces changements, d’arborer un nouveau visage.
Toujours souriant sur le podium et salué par la critique, il créa la surprise alors que sa famille amorçait doucement sa descente en enfer.
Une descente qui ne sembla jamais l’atteindre, à le voir sur les photos. Mais derrière le rideau se cachaient des crises dans le couple Recce/Parks, un début de problèmes financiers et la perte de l’amitié de Joshua. Les disputes entre ses parents amena même Friedrich à immoler les jambes de son compagnon. Celui-ci connaissait des pertes d’argent au sein de BSS qui mettaient l’entreprise à mal. Puis Josh sembla être jaloux et mettre tout en œuvre pour pourrir la vie de son ‘ami’ pour des raisons qu’il ignorait; l’amitié se brisa pour faire place à une bataille sans merci entre eux avant qu’ils ne se parlent plus du tout.
Et tout cela était dissimulé par le sourire de Milo qui ne s’effaçait jamais.
Deux ans plus tard, Milo signa sa première collection complète sous la marque de son père et lui offrit un regain de sa renommée en baisse.
Il se lança dans une foule de projets qui l’amenèrent aux Etats-Unis, après la publication d’une autobiographie sur ses vingt premières années de vie ; « Step 1 ».
Installé en Californie, Milo s’engagea dans l’industrie cinématographique, ce qui était son rêve depuis toujours. Il créa les costumes de quelques grosses productions, afin de changer d’air comme il le disait. L’un de ses caprices lui fit même obtenir l’autorisation de signer la chanson du générique de l’un de ces films.
Entre la mode, l’écriture et le chant, rien ne semblait pouvoir l’arrêter. Et tout lui réussissait, malgré la pression qu’il s’imposait. Il était chanceux et heureux, que demander de plus ?
Pour ceux qui sont persuadés que tous les stylistes hommes sont homosexuels, Milo fait office d’exception qui fait la règle. Après quelques essais de relations avec des hommes, il se tourna vers la gente féminine et se fiança… Trois fois.
La première fut avec l’un de ses mannequins favoris, le genre blonde aux longues jambes. Son nom était Olivia Lewis, et elle fut de celles qui dura le moins longtemps au bras du jeune homme ; puis rompirent deux mois après l’annonce des fiançailles. Et on ne la revit plus sur les podiums de Milo.
La seconde, Liz Hart, était comédienne. Une Irlandaise qu’il rencontra sur le tournage de l’un des films auxquels il participait. Et jouait terriblement bien, ce qu’il vit bien vite. Leur histoire prit fin six mois après sa demande. Ils coupèrent totalement les ponts.
La dernière était la plus jeune ; une inconnue du monde de la presse, une fille comme vous et moi, banale, nommée Devon. Pour tous, la troisième était la bonne. Milo était fou amoureux, et cela se voyait ; cette fois la date du mariage était fixée. Tout était prêt, tout était parfait. Et pourtant, la demoiselle planta Milo devant l’autel avec un simple mot pour expliquer cette fuite.
« J’ai encore trop à vivre. Pardon. Je t’aime. »
A cet instant, la vie du jeune homme connut une chute vertigineuse. Le sort sembla s’acharner sur lui, lui sautant dessus jusqu’à l’enterrer six pieds sous terre.
L’Angleterre le rappela définitivement quelques mois après s’être pris la veste du siècle, cette fois pour l’enterrement de Pete Parks.
Voilà un an que BSS avait mit la clé sous la porte suite à un dernier bilan catastrophique. Mais suite à cela, l’ancien créateur de la société fut atteint d’un cancer foudroyant qui ne lui laissa pas plus de six mois à vivre. Et Milo n’était même pas au courant.
La fin de vie de Pete était une torture pour celui-ci. Tant et si bien que Recce se décida à l’euthanasier, malgré la loi l’interdisant. Cela le conduisit derrière les barreaux. Milo fut donc seul pour enterrer l’ombre d’une famille qui ne semblait plus exister. A nouveau, il se sentit abandonné. Pour cette raison, il demeura quelque temps à l’ombre, le temps qui lui fallait pour savoir ce qu’il allait faire désormais. Chose peu facile vu la taille de la dette laissée par Parks. Sans compter ses ennuis judiciaires. Car le sort n’en avait pas terminé avec lui et lui avait réservé une dernière surprise ; un heureux événement qui devint un véritable cauchemar.
En effet, son ex-fiancée, Liz Hart, avait caché sa grossesse jusqu’à ce jour et accoucha dans le dos de Milo d’une petite fille, Gabrielle, dont elle déclara qu’il était le père. Et désormais, c’était à lui de payer. Littéralement. Dix mille livres par mois.
Ayant été un enfant abandonné, Milo ne voulut pas faire à sa propre fille ce que lui-même avait connu et l’ignorer. Il ne pouvait pas faire comme si elle n’existait pas. Il la voit donc un week-end sur deux et tente d’être le meilleur père possible, même s’il a bien du mal.
Alors qu’il avait été le plus discret possible à ce sujet, l’affaire éclata au grand jour quand il fut prit en photo avec Gaby. Et lorsque les questions fusèrent, il ne pu dire que la vérité. Aujourd’hui, son objectif est de faire en sorte d’éloigner le plus possible sa fille de cet univers de photographes ; là aussi, il ne veut pas qu’à quatre ans à peine elle devienne une excuse pour remplir les tabloïdes.
La période d’ombre prit fin l’an dernier, là où l’âge d’or avait commencé, soit à Paris. Les collections de cette année remportèrent un franc succès. Mais il avait annoncé que cette année serait la dernière avant cinq ans puisqu’il décida de se ‘ranger’ durant ce laps de temps. Il venait d’être embauché comme professeur dans une Université de Paris.
Passer de créateur à prof, voilà du changement radical, certes, et l’on ne s’improvise pas enseignant comme ça, mais le défi n’était pas impossible.
Le voilà donc à la veille de sa seconde année d’enseignement. Proche de ses élèves tout en assurant un cours dit ‘de qualité’, il prouva l’an passé, malgré le drame qui se déroula dans l'établissement, qu’il était capable d’assurer ce poste tout en signant quelques modèles de temps en temps. Il compte bien garder ce rythme cette année.
Lui, il n'est pas le plus affecté par le meurtre de l'année dernière. A vrai dire, il ne connaissait aucun des deux élèves. Il ne prétend pas enquêter; sa vie a assez eu de chamboulements comme ça pour qu'il se mêle de ce genre d'affaires. Mais il appréhende les conflits entre les élèves, et leurs histoires de camps. Sauf que cela n’est rien face au retour de Devon, sa troisième fiancée, et de Joshua, son "vieil ami", dans sa vie…